L'imagerie doloriste de la crise financière
Parmi les représentations visuelles de la crise financière proposées par les médias, les plus symptomatiques sont les photos de traders incrédules, catastrophés, épuisés.
Ces photographies réapparaissent à chaque évènement négatif de quelque importance dans l'univers de la spéculation. Dans ma classification des images selon leur degré de créativité, il s'agit de sous-produits - que j'appelle "clichés" - générés par des stéréotypes, eux mêmes inspirés par des archétypes.
Les clichés boursiers se rattachent dans leur inspiration au dolorisme de l'imagerie sulpicienne.Il s'agit de stéréotypes religieux produits par une industrie qui multiplie les représentations de personnages - vierges, saintes et martyrs - extatiques ou pâmés, les yeux généralement révulsés.
Les médias produisent et diffusent une imagerie sulpicienne
Les stéréotypes religieux en vente dans les boutiques regroupées autour de l'église Saint-Sulpice à Paris, mais aussi à Lourdes ou à Lisieux, répliquent en les affadissant les grandes créations - archétypes - de la peinture religieuse au Moyen-Age, à la Renaissance et jusqu'aux pré-Raphaélites du XIXème siècles.
Ce qui est troublant, dans l'imagerie médiatique, qui est elle-même un sous-produit esthétique de l'industrie sulpicienne, c'est de constater que la photo d'un trader effondré pourrait très bien figurer dans un tableau vivant mettant en scène un épisode crucial de la mythologie chrétienne. Voir les réflexions de Sandrine sur l'exploitation par les médias de la même photographie sulpicienne d'une "tradeuse" en pleurs sous les courbes déclinantes (1). Ce trader, par exemple, pourrait être un apôtre au Golgotha:
En multipliant de tels clichés, les médias dévoilent leur propension à traiter tout phénomène soudain et complexe par l'émotionnel plutôt que par le rationnel. Le dolorisme sulpicien véhicule en effet du misérabilisme et de l'angoisse, que l'industrie médiatique vaporise à fortes doses.
Les Effondrés et les Prépondérants
Un climat anxiogène s'installe qui permet aux Prépondérants (caste constituée de dominants servis par des influenceurs) de se réserver la posture rationnelle, donc rassurante, du Chef qui sait où il va ( bien que le cours des évènements démontre chaque jour que ce n'est pas le cas.)
L'imagerie médiatique de la crise est fondamentalement binaire. D'un côté les Effondrés, de l'autre les Rassurants.
Les photographes et les médias qui produisent et diffusent cette imagerie n'ont sans doute pas conscience des effets différés qu'elle peut avoir sur les lecteurs et téléspectateurs.
Doutes sur un système de croyances
La possible identification d'un trader avec un apôtre conduit à des glissements sémantiques, puis à des extrapolations vertigineuses: le trader est, au fond, l'apôtre d'une religion de l'argent qui se célèbre dans des temples à Wall Street et ailleurs, avec ses prophètes et ses grands prêtres et, surtout, son système de croyances: la spéculation.
Le système de croyances - définition de la religion et de l'idéologie - qui fonde la spéculation ne fonctionnant plus, entraînant ses propres fidèles dans une chute infernale, rien d'étonnant à ce que ses apôtres-traders soient effondrés. Mais alors, si le système de croyances cesse de réjouir ses propres apôtres et se met à les affliger, il n'y a plus lieu de croire ni à cette idéologie, ni aux Prépondérants qui en assurent tant bien que mal la maintenance.
Une Prépondérante en extase mystique
Le doute s'installe en profondeur dans l'esprit public, même quand l'imagerie sulpicienne des médias propose cette représentation d'une Prépondérante en pleine extase religieuse.
La posture d'oraison mystique de la ministre de l'Economie n'a rien de vraiment surprenant quand on sait que la dame en pâmoison vient professionnellement des arcanes du business.
(1) Grâce à Netdeclic, le blog de Sandrine, deux autres liens intéressants: