Chet Baker recyclé en artiste à succès

Impossible, quand apparaît cette photographie publicitaire, de ne pas penser à Chet Baker, trompettiste qui s'est suicidé en se jetant par la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Le modèle masculin ressemble au jazzman qui a été plusieurs fois cadré dans cette attitude songeuse.

Deux mots extraits de la pésentation du tailleur Arnys éclairent le choix de ce visuel: classique et nonchalance. Avec la pochette blanche et les rayures du costume, l'élégance du personnage est en effet on ne peut plus classique. La notion de nonchalance est beaucoup moins évidente maisc'est elle qui, précisément, renvoie au personnage de Chet Baker: rien de plus nonchalant que son phrasé, aussi bien quand il chantait que quand il soufflait dans l'instrument de cuivre.

La publicité est une industrie de recyclage. Elle puise l'essentiel de son inspiration dans un imaginaire collectif constitué de mythologies consensuelles et peuplé de stéréotypes.

Ici, la mythologie est celle de la solitude de l'artiste avant d'entrer en scène. Une solitude qui peut être celle, subie, du cafard dans une chambre d'hôtel ou celle, voulue, de la relaxation avant le concert.

Le jazzman fournit le stéréotype du non conformisme, de la bohême. Et c'est bien dans l'apparente contradiction entre le classicisme du costume et la trompette du jazzman que fonctionne le message publicitaire: bohême mais "classe", comme aurait dit Gainsbourg.

Si le message avait voulu utiliser la musique en général pour véhiculer l'idée d'élègance et de réussite artistique et financière, il aurait effectivement choisi ce décor de chambre d'hôtel assez luxueuse et y aurait installé soit un instrumentiste de musique classique, soit un trompettiste à succès, au demeurant très élégant, comme Wynton Marsalis qui n'apparaît pas comme le plus bohême des jazzmen contemporains.

Le recyclage du personnage Chet Baker a permis de canaliser le potentiel émotionnel et affectif du mythe de l'artiste maudit vers la mythologie attractive de l'artiste à succès.