Pub, provoc et bigoterie
Selon la Cour de Cassation (1), la bâche publicitaire qui s’inspire
d’une représentation de la Cène par Léonard de Vinci n’est pas de nature à
offenser les catholiques. Ce jugement revient à considérer que l’interdiction d’affichage
prononcée par l’an dernier par la Cour d’Appel de Paris était une atteinte à la
liberté d’expression.
L’expression dont il s’agit est en fait la transposition photographique d’une œuvre peinte qui résulte elle-même d’une interprétation visuelle de certains textes évangéliques. La méthode s’inspire également des tableaux vivants utilisés par le théâtre pour souligner des moments décisifs ou suggérer un effet de suspension du temps. Elle a consisté, en l’occurrence à reproduire une composition – disposition et postures des personnages – conçue par le peintre. La transposition est explicitement signifiée par la substitution de l’arrière-plan: la perspective architecturale de Léonard de Vinci est remplacée par un fond intemporel typiquement photographique. Sur le plan esthétique, le résultat est quelconque.
Dans l’univers des images, la publicité utilise la transposition comme d’autres détournent des avions, pour obtenir un impact psychologique massif. Un retentissement générateur de notoriété suppose l'amplification médiatique d'une émotion telle que l'indignation. Quand cette émotion et cette amplification ne se déclenchent pas spontanément, une provocation bien ajustée stimule les milieux les plus sensibles: les bigots dans ce cas précis. La provocation évoque d’ailleurs la photographie puisqu’il s’agit d’une inversion avec une dominante masculine dans l’œuvre peinte et une dominante féminine dans la version publicitaire. Pour les bigots catholiques, musulmans ou juifs, cette inversion sexuelle équivaut à un renversement du positif (masculin) vers le négatif (féminin).
Ce qui est intéressant dans l’exploitation de cette image, c’est
justement le comportement bigot. Une association catholique ainsi que des
évêques ont considéré que la bâche publicitaire mettait en cause « un
évènement fondateur de la foi chrétienne ». Or ni l’image
publicitaire, ni même l’œuvre peinte ne sont des évènements fondateurs. Cet
évènement a été rapporté par les rédacteurs des évangiles. Ces rédacteurs n’ont
pas été les témoins directs de
(1)
Décision du 14 novembre 2006 sur la bâche illustrée par l'agence Air
Paris pour les créateurs de mode Marithé et François Girbaud (Le Monde
daté du 16 novembre)