Les émotions numérisées révolutionnent l'image animée
Fondée par des chercheurs britanniques de l’Université de Manchester, la firme californienne Image Metrics a mis au point une technologie susceptible de reproduire toutes les formes humaines de l’expression émotionnelle.
Jusqu’à présent, les logiciels les plus puissants d’animation graphique assistée par ordinateur assuraient assez bien la reproduction des mouvements corporels. Il suffisait de placer des capteurs sur les articulations et les principaux moteurs musculaires d’un acteur en chair et en os pour qu’à l’écran des simulacres numériques se mettent à bouger. Mais un énorme travail « à la main » était nécessaire pour conférer un minimum de crédibilité aux personnages virtuels ainsi générés. Un film produit dans de telles conditions, semi artisanales, mobilise des dizaines de graphistes pendant plusieurs années et coûte, au bas mot, une centaine de millions de dollars.
A partir des recherches biométriques sur la reconnaissance
faciale, les mathématiciens britanniques ont construit un modèle générique de
visage humain et – c’est ici que leur apport peut être qualifié de révolutionnaire – ils ont mis
au point un algorithme susceptibles d’appliquer sur ce modèle une gamme de variations
expressives dérivée des six émotions primaires : surprise, joie, peur, dégoût,
tristesse, colère. Concrètement: jusqu’ici, la transcription des émotions
était limitée par le fait qu’on ne peut pas placer un capteur sur les yeux ou
sur les commissures des lèvres; or ces emplacements sont cruciaux pour la
qualité et l’intensité de la communication non verbale. Image Metrics a
contourné l’obstacle du capteur impossible à poser sur la rétine en modélisant la subtilité des
expressions humaines et en les transformant en autant de "couches applicatives" dans un logiciel graphique.
Le résultat est résolument convaincant du point de vue de la crédibilité des personnages virtuels. Quant aux exploitations possibles, elles sont stupéfiantes sur le plan artistique puisqu’elles permettent, non seulement de refaire des films anciens en actualisant le jeu d’acteurs disparus, de « ressusciter » des actrices pour les faire jouer dans de nouveaux films avec des acteurs vivants. Par exemple, Marylin émotionnellement reconstituée avec Sean Penn. Le modèle économique du cinéma d’animation et du jeu vidéo est bouleversé: une production qui demandait plusieurs années de travail peut se réaliser en quelques mois. Mieux : un acteur qui aurait le mauvais goût de trépasser en cours de tournage pourrait être dorénavant « prolongé » par ce type de modélisation.
Proclamer, comme le fait le New York Times, que cette
technologie « capte l’âme l’humaine »
est très exagéré au regard de l’état actuel des sciences neurocognitives. Il
reste que cette révolution concerne en premier lieu le cinéma – elle va
accélérer la dévaluation des acteurs, phénomène enclenché par le licenciement
de Tom Cruise – ainsi que l’industrie du jeu vidéo et surtout
Sources : Le New York Times du 15 octobre 2006.