L’actualité cartographiée en temps réel
Quand plusieurs points d’un planisphère s’animent au gré de
stimuli déclenchés par des dépêches d’agences, l’image électronique propose la
représentation la plus achevée de ce qu’est l’actualité aujourd’hui: une symbiose
de l’espace, symbolisé par le schéma de la planète, et du temps, que des points
lumineux se chargent de baliser. Réalisée par le designer hollandais Jeroen Wigering, Mappedup est une fascinante
interface graphique, une killer
application, à la fois fonctionnelle et créative.
Calés sur leurs fuseaux horaires, les continents se
décomposent en plusieurs dizaines de spots qui sont autant de points de
localisation. Les taches lumineuses qui restent vertes désignent les contrées
où les médias estiment qu’il ne se passe rien d’intéressant. A elle seule, cette
règle du code de décryptage résume de manière fulgurante le
fonctionnement, arbitrairement
filtré,
de l’industrie de l’information. Premier filtre: les agences décident
qu’à tel endroit, il ne se passe rien qui soit digne d'être relaté et
diffusé. Deuxième filtre:
l’interface graphique ne glane que quelques unes des sources
d’information
actives dans une région donnée.Or, certaines régions ne sont pas "couvertes" par les médias et dans certains pays les médias sont contrôlés ou n'ont pas les moyens d'assumer leur mission d'information. Ainsi, les spots africains ne
s’allument
presque jamais; or il se passe forcément des choses intéressantes en
Afrique; donc, l’information s'affiche avant tout comme une
représentation construite par
des professionnels qui sélectionnent et hiérarchisent les faits et les
évènements selon des critères largement opaques.
Certains spots apparaissent en jaune ou en rouge. C’est la
parfaite transposition, dans un code de couleurs conventionnel, de l’expression
« les points chauds de l’actualité. » Les spots jaunes et rouges
émettent sporadiquement des courbes concentriques, représentation la plus
convenues des ondes. On y voit évidemment des références aux ondes de la radio
et de la télévision tandis que l’animation électronique s’interprète comme un
signal d’alerte. De manière plus singulière encore, les points lumineux
transcrivent certains tics de langage des présentateurs de journaux radiophonique
et télévisés, lorsqu’il disent, en formules de transition, pour changer de
sujet: « Nous allons maintenant à … », « Direction
Beyrouth, où … ».
Si elle ne proposait qu’une image de l’actualité digne des
enseignes de Las Vegas, avec des ampoules qui s’allument et qui s’éteignent,
Mappedup ne passionnerait guère que les « accrocs de l’info », les news junkies, qui pourraient y exciter
leur anxiété boulimique.
En
fait, le
potentiel de développements est immense. D’abord, parce que le
planisphère
est interactif, supériorité absolue de l’imagerie électronique sur les
imageries antérieures (photographie, cinéma, télévision). Grâce à
l'interactivité, l’utilisateur exerce une liberté cruciale: il choisit
ses
centres d’intérêt et ses sources d'information. Il peut en effet
ajouter ses propres fils RSS à ceux qui
sont proposés par la version beta téléchargeable gratuitement. Ce
faisant, il
personnalise l’interface gratuite et se l’approprie partiellement. Les spots
qu’il voit s’activer sur l’écran sont des messagers programmés par lui. Même si
les sources sont largement filtrées, il ne subit plus totalement l’arbitraire
de l’industrie de l’information. Pour assumer la responsabilité de sa liberté
de choix, il a accès aux sources d'information par un simple clic sur une bulle -
référence à la bande dessinée – qui résume l’information d'une phrase assortie d'un lien hypertexte. L’utilisateur peut
donc exercer sa faculté de discernement en retenant et en éliminant certaines
sources.
La fonction de partage des sources d’information n’est
pas un utopique gadget d’intelligence collective, c’est un moyen de vérifier
l’origine et la qualité des informations en les soumettant à la vigilance d’autres
utilisateurs concernés par les mêmes thèmes, et parmi lesquels se trouvent probablement des experts du sujet traité.
On imagine, sur ces bases prometteuses, des implémentations de sons et d’images fixes ou animées, d’outils de vérification sémantiques plus perfectionnés. L’information ne sera plus, alors, un spectacle de diversion comme c’est le cas à la télévision, mais une vision proche de la visualisation scientifique fondée sur des hypothèses réfutables : en l’occurrence celles de la validité des sources et du rôle des filtres.
Comme cet outil s’utilise sans médiateurs – au grand dam du
sociologue Dominique Wolton – et comme les sources d’information passent par
les fils RSS, il s’agit bien d’une illustration des nouveaux médias. D’ailleurs
le planisphère électronique montre une des dimensions essentielles de la Toile
mondiale.
Source : L'atelier numérique