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30 mars 2006

Le mouvement anti CPE rénove un genre photographique

Fixées par la photographie, les manifestations de rues ont donné lieu, en France, à trois grands modèles de représentation. Tel qu’il est illustré, sur Flickr, par un remarquable collectif de témoins, le mouvement de protestations contre le Contrat Nouvelle Embauche rénove une imagerie de foules qui se ternissait à force de reproduire les mêmes clichés depuis près de quarante ans.cpe_1

Entre les années trente et la fin des années cinquante, les cortèges sont montrés comme de puissants fleuves que rien ne saurait arrêter ni détourner. Sans doute parce que la structure mentale de cette époque est dominée par la croyance en un « sens de l’Histoire ». Les photographes construisent l’allégorie du Progrès en marche, porté par le Peuple. Quelques prélèvements dans la marée humaine montrent les mêmes physionomies déterminées sous de larges casquettes, cigarette aux lèvres.

A partir des années soixante, les images traduisent un basculement. Ce n’est plus l’avancée des foules conquérantes mais le refus catégoriel. La jeunesse se rebelle, moins assurée et moins sombre qu’un prolétariat investi d’une œuvre messianique. Les photos prises en Mai 1968, y compris celle de Daniel Cohn-Bendit riant à la face d’un CRS, ne sont que des répliques des manifestations de la jeunesse américaine contre la guerre au Vietnam, avec la dimension pacifiste résumée par l’icône de la jeune hippie offrant une fleur aux soldats casqués de la Garde nationale.

Depuis le milieu des années quatre-vingt dix, les « casseurs » ont reconfiguré le spectacle des colères publiques en y introduisant  trois éléments visuels : un décor (la banlieue), un uniforme (le survêtement à capuche), un acte hautement télévisuel (la voiture qui brûle).

Ces trois modèles de représentation ont évolué sous l’influence cachée du cinéma (de la Révolution russe de 1917 à Mai 1968) puis de la télévision (incendies de voitures pendant chaque nuit de la Saint-Sylvestre jusqu’aux évènements de novembre 2005 dans les banlieues).cpe_2

L’imagerie de mars 2006 est marquée par l’irruption de la photographie numérique et des capteurs électroniques sur les téléphones portables. Les témoins sont partout. Les points de vue changent. Les professionnels qui ont tendance à reproduire les clichés publiables, donc vendables, tiennent compte du fait que l’image enregistrée par un manifestant ou par un badaud peut acquérir plus de valeur que leur travail. Il suffit, pour dévaluer le photojournalisme, qu’un amateur ait quelque part un réflexe de l’instant décisif devant une scène qui peut devenir historique, comme la mort de Malik Oussekine en 1986.

L’ubiquité imprévisible de la représentation photographique produit d’ores et déjà des images moins esthétisantes parce que moins calquées sur les clichés qui se vendent. Les grands évènements qui « font » l’actualité sont fragmentés en micro-évènements, en témoignages distanciées avec des effets de maladresse, comme les cadrages hasardeux ou les flous de bougé.

Crédits :
Photo du haut : Spencer Olinek
Photo du bas : Hugo

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